Lettre commune d’ONGs aux Rapporteurs spéciaux du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies

28 janv. 2014

Plusieurs organisations non gouvernementales - dont Sauvons la forêt - ont adressé le 28 janvier 2014 une lettre aux Rapporteurs spéciaux du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies. Elles leur demandent d’enquêter et d’intervenir sur le cas Herakles Farms au Cameroun.

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À:

M. Olivier De Schutter
Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation
OHCHR-UNOG, 8-14 Avenue de la Paix,
1211 Genève 10,
Suisse
Email : srfood@ohchr.org

M. John Knox
Expert indépendant sur les droits de l’homme et l’environnement Bureau du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme OHCHR-Palais Wilson, Bureau des Nations-Unies à Genève
CH-1211 Genève 10,
Suisse
Email : ieenvironment@ohchr.org

Mr. Maina Kiai
Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association
Palais des Nations
CH-1211 Genève 10
Suisse
Email : freeassembly@ohchr.org

Le 28 janvier 2014

Messieurs,

Les organisations signataires de cette lettre souhaitent attirer votre attention et vous demander de diligenter une enquête et d’intervenir à propos des mesures de répression et de criminalisation prises contre des organisations et des activistes locaux au Cameroun, dans le contexte de protestations pacifiques contre un projet de plantation de Herakles Farms dans les arrondissements de Mundemba, Toko et Nguti, au sud-ouest du Cameroun. (1)

Herakles Farms

Le 17 septembre 2009, SG Sustainable Oils Cameroon PLC (SGSOC) a signé avec le gouvernement camerounais un contrat visant à développer une grande plantation industrielle de palmiers à huile et une raffinerie. SGSOC appartient à 100 % à l’entreprise américaine Herakles Farms, par le biais d’une filiale enregistrée aux Iles Caïman.(2) Herakles Farms est une société d’investissement centrée sur l’Afrique et impliquée dans des secteurs tels que les télécommunications, l’énergie, les infrastructures, l’extraction minière et l’agro-industrie.(3)

Après avoir opéré de façon illégale au Cameroun pendant plus de trois ans (4), Herakles a obtenu, par l’intermédiaire de trois décrets présidentiels, un bail foncier d’une superficie totale d’environ 20 000 hectares.(5)

Harcèlement de Nature Cameroon

Depuis le mois de septembre dernier, l’ONG locale Nature Cameroon (dont le siège est à Nguti, au Cameroun) s’est vu interdire d’informer les habitants des menaces que représente le projet d’Herakles Farms pour leurs moyens de subsistance et l’environnement. Le 11 septembre, le sous-préfet de l’arrondissement de Nguti, M. Kombe Henry Pasang, a sommairement suspendu le droit de l’ONG à « tenir ou organiser quelque réunion ou manifestation publique que ce soit », sous prétexte que les réunions n’avaient pas été « autorisées par l’administration » sans préciser les dates et lieux des réunions en question (voir lettre de suspension, annexe 1).

Cette suspension a fait suite à une série de réunions de sensibilisation dans les villages où les chefs locaux avaient invité Nature Cameroon, pour partager des informations, notamment sur l’état d’avancement de la demande de bail foncier déposée par Herakles Farms. Nature Cameroon de son côté avait invité, longtemps à l’avance, le sous-préfet à chaque rassemblement et celui-ci n’a à aucun moment déclaré ces réunions illégales, jusqu’à ce que des représentants d’Herakles Farms ne décident de déposer une plaine verbale, une fois le tour des villages terminé.(6)

De plus, des représentants de Nature Cameroon, du Centre pour l’environnement et le développement (CED) et de Greenpeace ont été physiquement attaqués par des employés d’Herakles Farms alors qu’ils visitaient le village de Babensi II à la demande du chef de village, en août 2013. Le sous-préfet a déclaré au cours d’une réunion avec les trois ONG que cette attaque d’Herakles était une raison supplémentaire qui l’avait amené à suspendre le droit de Nature Cameroon à organiser des réunions.

Dominic Ngwesse, Président de Nature Cameroon, a écrit une lettre au sous-préfet au mois de novembre 2013 pour faire appel de cette suspension. Le sous-préfet a répondu le 24 décembre 2013: « … vous devez savoir également que la paix et la tranquillité de l’arrondissement de Nguti ne peuvent être compromises par les intentions peu claires de votre groupe, qui se dit d’un côté en faveur du développement pour l’arrondissement de Nguti et de l’autre, se permet d’inciter une partie du public à s’opposer aux efforts de développement venant d’autres. » (voir la réponse complète en annexe 2)

Harcèlement de Nasako Besingi et de SEFE

Le 31 décembre 2013, le directeur de l’ONG locale Struggle to Economise Future Environment (SEFE), Nasako Besingi, a été convoqué par l’huissier de justice de Mudemba. Il était inculpé « d’avoir participé à l’organisation et la conduite d’une réunion publique non déclarée » ayant trait aux activités de SEFE en juillet et novembre 2012 pour protester contre la présence d’Herakles Farms (voir annexe 3). En novembre 2012, Besingi et quatre autres participants avaient été arrêtés pour distribuer des T-shirts anti-Herakles Farms (7) devant leurs bureaux après une réunion privée. Les quatre collègues de M. Besingi ont été inculpés du même délit.

Dans une autre affaire, l’huissier de justice de Mudemba a convoqué (voir annexe 4) Nasako Besingi à la demande d’Herakles Farms (voir plainte d’Herakles, annexe 5) pour « publication de fausses informations par Internet » en août 2012. Dans un mail privé (annexes 6 et 7), M. Besingi avait écrit que, alors qu’il se rendait en moto dans un village pour une réunion d’information, il avait été agressé par un groupe d’hommes qu’il avait reconnus comme de jeunes responsables d’Herakles Farms. Herakles assure qu’il s’agissait de « fournisseurs de services locaux ».(8) Heureusement, une équipe de journalistes français de la chaîne France 24 n’était pas loin derrière Nasako ce jour-là. Quand leur camion est arrivé, les hommes ont lâché M. Besingi et se sont enfuis. Mais les images de l’attaque ont été diffusées dans un documentaire de France 24 sur Herakles Farms.

M. Besingi a porté plainte le 29 octobre 2012 contre les quatre assaillants qui l’ont attaqué (annexe 8). Le procureur n’a pas encore déposé la plainte contre les employés d’Herakles Farms concernés. Cependant, c’est le même procureur qui instruit les deux plaintes contre M. Besingi décrites ci-dessus.

Ces mesures de répression et d’intimidation sont utilisées pour réduire au silence et punir les organisations locales et les activistes qui se battent de façon pacifique et sans relâche pour protéger les droits des peuples et préserver l’environnement naturel et les forêts du Cameroun.

Le projet Herakles a été critiqué par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation dans son rapport sur le Cameroun qui rappelle aux autorités du pays leurs responsabilités de «progresser vers la réalisation progressive du droit à l'alimentation ‘au maximum de ses ressources disponibles’ »(9) appelant le gouvernement du Cameroun à s’assurer que ceux qui défendent le droit à l’alimentation soient protégés. Les ONG locales qui tentent de protéger les droits des communautés à la réunion et à l’alimentation sont aujourd’hui en butte à de sérieuses menaces de la part d’Herakles Farms et des autorités du Cameroun.

Le Cameroun se doit de garantir les droits fondamentaux inclus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), tels que le droit à la liberté d’expression sans interférence (article 19) et le droit de réunion pacifique (article 21). Dans sa résolution 24/5 de septembre 2013, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies répète qu’il s’engage à promouvoir et protéger le droit à la liberté de réunion pacifique et le droit d’association, condition « indispensable à la construction de sociétés pacifiques, prospères et démocratiques. »

Nous exhortons les Rapporteurs spéciaux et les experts indépendants des Nations Unies à intervenir de toute urgence,
afin de :

- Déclarer que la décision des autorités camerounaises concernant Nature Cameroon viole l’article 21 de l’ICCPR et exiger que les autorités camerounaises révoquent la décision judiciaire interdisant les activités de Nature Cameroon ;

- Prendre les mesures appropriées pour mettre fin au harcèlement juridique que subit Mr Besingi pour avoir fait publier des informations sur Herakles Farms, sur internet ou par d’autres moyens.

- Rappeler aux autorités camerounaises qu’elles doivent respecter pleinement les obligations spécifiées dans l’ICCPR et les autres conventions internationales associées ;

- Rappeler aux autorités camerounaises leur obligation de protéger les défenseurs du droit à l’alimentation, de la liberté d’expression et d’association ;

- Prendre toute mesure qui sera jugée appropriée par les rapporteurs spéciaux et les experts indépendants.

Dans cette attente, et restant à votre disposition pour toute information complémentaire,

Nous vous prions de recevoir l’expression de nos sentiments respectueux.

 

Les ONGs signataires :

Africa Faith and Justice Network
Environmental Defender Law Center
Fern
Forest Peoples Programme
GRAIN
Grassroots International
Greenpeace Afrique
Nature Cameroon
Presbyterian Church USA
Rainforest Foundation UK
Rainforest Rescue  (Sauvons la forêt)
SAVE Wildlife Conservation Fund
Sciences Po Law School
Struggle to Economize Future Environment
The Centre for Environment and Development
The Network for the Fight Against Hunger
The Oakland Institute
World Rainforest Movement


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NOTES

(1) Voir l’article de GRAIN pour plus de de tails : http://www.grain.org/fr/article/entries/4829-un-activiste-camerounais-menace-d-emprisonnement-pour-s-etre-attaque-a-un-accapareur-de-terres-de-wall-street
(2) http://loophole4all.com/index.php?id_i=191672&id_e=220358&company=SGSO+CAMEROON+HOLDINGS+LTD<
(3) Voir http://heraklesfarms.com/
(4) Voir le communique de presse de CED/RELUFA: http://farmlandgrab.org/post/view/22846-apres-4-ans-dillegalite-le-cameroun-octroie-une-concession-provisoire-a-sgsoc
(5) Les de crets sont disponibles ici : http://www.journalducameroun.com/files/communiques/100.pdf et http://www.journalducameroun.com/files/communiques/101.pdf et http://www.journalducameroun.com/files/communiques/102.pdf
(6) Le sous-préfet a infomé Nature Cameroon de la plainte au cours d’un meeting ou étaient présents des représentants de Nature Cameroon, du Centre pour l’environnement et le développement et de Greenpeace.
(7) Voir le rapport de la Ligue des droits de l’homme (LDH) sur les arrestations: http://www.fidh.org/en/africa/cameroon/Cameroon-Arbitrary-arrest-of-and-12517
(8) Voir la publication de Herakles Farms : http://heraklesfarms.com/docs/ResponsetoReportsAboutCameroonFINAL.pdf
(9) http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20130304_cameroonfinal_fr.pdf

 

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