Équateur : la population remporte son combat contre la mine de cuivre
17 avr. 2023
Les forêts de nuages du nord de l’Équateur sont le théâtre de l’une des plus longues campagnes de résistance à l’exploitation minière en Amérique latine. Depuis 25 ans, Sauvons la forêt soutient les communautés concernées. Celles-ci viennent de remporter une nouvelle victoire devant les tribunaux, avec l’annulation définitive des permis environnementaux du projet de mine de cuivre à Llurimagua.
Les forêts de nuages de la région montagneuse de Toisan, en Équateur, ont pour particularité une exceptionnelle beauté, mais également de se trouver sur un important gisement de cuivre que des groupes miniers internationaux veulent exploiter. Sans égards pour la riche biodiversité et la population locale de la région, ceux-ci projettent l’immense mine à ciel ouvert Llurimagua. En plus des tas de résidus et des réservoirs remplis de boues toxiques, la mine de cuivre aurait pour conséquence la disparition de plusieurs villages, de rivières et de pans de montagnes entiers débordants de vie.
Depuis 30 ans, les plans des compagnies minières sont mis en échec par la résistance des communautés locales de l’Intag, nom donné à la région située dans les Andes tropicales au nord de la capitale Quito. Dans les années 1990, elles ont chassé l’entreprise japonaise Bishimetals, et dans les années 2000, elles ont forcé les compagnies canadiennes Ascendant Copper, Mesa Copper et Cornerstone à abandonner. Aujourd’hui, elles ont obtenu en justice l'expulsion de la société minière publique ENAMI et du producteur de cuivre chilien CODELCO.
Le 29 mars, le tribunal provincial d’Imbabura a annulé le permis environnemental délivré il y a dix ans à ENAMI, suite à une plainte de la population locale. « Le ministère équatorien de l’environnement a accordé le permis environnemental sur la base d’une étude d’impact qui viole les droits des communautés, situées dans la zone d’influence du projet minier Llurimagua, à être consultées sur les questions environnementales et à protéger la nature », indique le jugement.
« Les études environnementales ne sont pas de simples formalités. Elles servent à élaborer les plans de gestion environnementale et doivent être réalisées avec le plus grand soin. Les autorités ne peuvent pas délivrer de permis environnementaux sans que les études garantissent la protection de l’environnement », explique Carlos Varela, l’un des avocats en charge de l’affaire, lors d’une conférence de presse consacrée au jugement.
« Les manquements sont si graves qu’il est difficile de croire à de simples erreurs de négligence. Le tribunal l’a reconnu », poursuit Varela. Il semble que les compagnies minières et le ministère de l’environnement aient tenté de tromper délibérément le public sur les conséquences de l’exploitation minière.
Victoire finale au tribunal
Depuis 2014, ENAMI et CODELCO ont effectué des sondages et des travaux de prospection sur la concession minière de Llurimagua, afin d’étudier le gisement souterrain de cuivre et de planifier l’aménagement de la mine et l’extraction du minerai. L’annulation du permis environnemental décidée par le tribunal, qui ne peut plus faire l’objet d’appel, oblige à l’arrêt définitif de toutes les activités.
La décision du tribunal représente une victoire éclatante pour les personnes qui veulent préserver la nature et leur foyer de l’exploitation minière. Grâce à un soutien uni, à un travail d’information et juridique continu, les communautés villageoises ont réussi, jusqu’à aujourd’hui, à préserver l’environnement et à faire valoir les droits garantis par la Constitution équatorienne en matière de protection de la nature et de ses habitants :
« Ce jugement n’aurait pas été possible sans tous les efforts, la résistance et le soutien pendant toutes ces années », explique Cenaida Guachagmira, représentante des municipalités affectées de l’Intag, lors de la conférence de presse. « Notre communauté a dû endurer beaucoup de choses : des familles ont été séparées, le tourisme a été compromis, nous avons été menacés. Cela fait 30 ans que nous résistons. Nous devons préserver ces territoires, nous dépendons de la nature et nous aussi en faisons partie. »
La Constitution de l’Equateur garantit les droits de la nature
Par son jugement, le tribunal d’Imbabura renforce également les droits de la nature, inscrits dans la Constitution de l’Equateur depuis 2008. Les autorités ne peuvent pas délivrer de permis environnementaux ou de concessions en contradiction avec les droits de la nature, qui sont pleinement contraignants, a déclaré le tribunal. Les activités des entreprises minières dans la région n’ont donc plus aucune base légale.
Le ministère de l’environnement a un rôle particulièrement discutable dans cette affaire. Il n’a manifestement pas fait respecter la bonne conduite des études nécessaires ni les procédures de consultation obligatoires. « Le ministère n’a pas fait suffisamment d’efforts pour recenser et comprendre les espèces menacées. C’est une infraction. Nous ne pouvons pas attendre que les espèces disparaissent avant d’agir. Car alors, la perte serait déjà irréparable », explique l’avocat Carlos Varela à propos de la menace que représente le projet minier pour la biodiversité.
Le jugement montre une fois de plus que le système juridique équatorien, malgré toutes ses lacunes et ses lourdeurs, protège les droits des communautés, des individus et de la nature. Il fait écho à des décisions de la Cour constitutionnelle dans d’autres cas et régions de l’Equateur, comme dans la zone protégée de Los Cedros ou le territoire du peuple autochtone Sápara. Les problèmes résident principalement dans le manque de respect et de mise en application des lois existantes par les autorités compétentes.
Les gens ne veulent pas se sacrifier pour la transition énergétique des pays industrialisés
« Les territoires communautaires ne sont pas adaptés à l’exploitation minière. Les entités qui sont censées nous protéger nous vendent comme si nous étions des marionnettes et nous privent de droits fondamentaux tels que la santé et l’éducation », explique encore Cenaida Guachagmira. « Nous n’allons pas nous sacrifier pour que les riches des pays développés puissent rouler en voiture électrique », poursuit-elle en faisant allusion à l’importante utilisation de cuivre dans de nombreuses technologies liées à la transition énergétique.
Carlos Varela ajoute : « L’extraction du cuivre est encouragée sous le prétexte de la transition énergétique, mais elle signifie la destruction des dernières forêts, qui constituent un puits de carbone et contribuent à prévenir le changement climatique. Détruire les forêts ne nous mènera nulle part. Nous devons regarder de près d’où viennent les ressources, les métaux et les minéraux nécessaires à la transition énergétique écologique. »
Réseaux mondiaux de résistance à l’exploitation minière
L’action contre le boom minier se poursuit en Équateur, car il existe de nombreuses autres concessions minières dans le pays, y compris dans l’Intag, ainsi que des projets de mines autorisés bien qu’illégaux. Sauvons la forêt continuera à soutenir la population dans sa lutte contre l’exploitation minière dans l’Intag.
Cette mobilisation a également permis d’acquérir des connaissances et des expériences précieuses dans la défense des droits des personnes et de la nature dans le monde entier. Pour les renforcer et les diffuser, nous avons créé des réseaux internationaux tels que "Yes to Life, No to Mining" (Oui à la vie, non à l’exploitation minière) afin de partager les enseignements tirés de la situation dans l’Intag et ailleurs avec d’autres communautés qui souffrent de l’exploitation des ressources naturelles sur leurs territoires.