Lettre ouverte à Elon Musk contre l’extraction du nickel pour les voitures électriques
15 juin 2022
L’Indonésie possède d’importants gisements de nickel aux Célèbes et dans les Moluques. L’extraction du minerai, sa fonte et son transport ainsi que la construction d’usines détruisent la forêt tropicale, le Triangle de Corail et des existences humaines. Des groupes environnementaux ont écrit à Elon Musk, le PDG du constructeur de voitures électriques Tesla.
Les voitures électriques sont présentées dans le monde entier comme une solution à la crise climatique. La transition énergétique et l’énergie verte sont devenues les mantras de l’industrie automobile. Mais la production de voitures électriques nécessite d’énormes quantités de métaux. Parmi eux, le nickel, utilisé pour la fabrication des batteries et dont l’approvisionnement des usines est essentiel pour les constructeurs.
Depuis 2020, l’Indonésie n’exporte plus de minerai de nickel brut mais assure sa transformation. Plusieurs fonderies de nickel ont commencé à fonctionner et d’autres sont en construction pour, in fine, fabriquer et approvisionner le monde en batteries de véhicules électriques. Des zones industrielles spéciales voient le jour, la plupart du temps exploitées par des groupes chinois. Le géant brésilien Vale est également présent.
La guerre en Ukraine a pour conséquence l’effondrement des livraisons de nickel russe, qui couvraient jusqu’à présent 8,4 % des besoins mondiaux. L’Indonésie veut combler ce manque en augmentant l’extraction de minerai de nickel et la production de produits transformés tels que les sels de nickel et les batteries électriques. L’Indonésie, qui couvre à ce jour 19% des besoins mondiaux, est déjà le plus grand fournisseur en minerai de nickel.
Le groupe américain Tesla a actuellement une longueur d’avance dans la compétition pour l’accès aux gisements de nickel dans le monde. Son PDG, Elon Musk, et le ministre indonésien chargé de la coordination des affaires maritimes et de l’investissement, Luhut Panjaitan, se sont rencontrés à plusieurs reprises ces dernières semaines pour négocier l’ouverture de mines, de fonderies et d’usines de batteries au nom de l'"énergie verte" et de la transition énergétique. La construction d’une Gigafactory de voitures électriques en Indonésie serait en préparation. Le président Joko Widodo a également rencontré Elon Musk et a discuté d’éventuelles futures relations commerciales.
Les groupes environnementaux sont extrêmement préoccupés par cette ruée vers le nickel, en particulier sur l’île de Célèbes (Sulawesi) où se trouvent les plus grandes réserves de l’Indonésie :
« Nous sommes profondément inquiets car nos années de travail nous apprennent que l’industrie du nickel détruit l’environnement, que les peuples autochtones et les défenseurs de l’environnement sont criminalisés lorsqu’ils s’opposent à la destruction de leurs terres et que d’autres violations de la loi auront lieu tout au long de la chaîne de production » peut-on lire dans une lettre adressée à Elon Musk et aux investisseurs de Tesla.
Ses auteurs, des groupes du réseau environnemental WALHI (Friends of the Earth Indonesia) aux Célèbes, assistent depuis quelques années à l’expansion massive des mines de nickel. « Près de 700 000 hectares de forêt tropicale ont déjà été attribués à des sociétés minières pour l’exploitation du nickel. » Cela provoque non seulement la déforestation mais également la contamination des rivières et de la mer par des boues toxiques. « La destruction de 4 449 hectares de forêt tropicale dans le sud des Célèbes a entraîné l’envasement du lac Mahalona, de ses affluents et de toute la région côtière », donnent les écologistes comme exemple dans leur courrier à Elon Musk.
Des îles entières sont sacrifiées pour le nickel, dans l’archipel des Moluques par exemple, bien que l’exploitation minière sur les côtes et les petites îles soit interdite par la loi. La mer est polluée par les déchets miniers et les boues. La population côtière, qui vit traditionnellement de la pêche, perd ses moyens de subsistance en raison de la destruction de la faune marine.
« Le nickel porte également atteinte à la démocratie et à la liberté d’expression », affirment les écologistes dans la lettre adressée à Tesla. Dans différents lieux des Célèbes, des habitants ont été la cible d’interrogatoires et d’arrestations. En mars 2022, au moins quatre indigènes ont été emprisonnés après avoir protesté contre l’expansion des mines de nickel par le géant minier brésilien Vale, qui possède de vastes concessions aux Célèbes.
Le quotidien de la population des forêts tropicales a totalement changé depuis depuis l’ouverture de vastes territoires à l’exploitation du nickel. Des zones industrielles spéciales, comprenant des fonderies et des usines de batteries, sont mises en place à proximité de la réserve naturelle de Morowali et sur l’île de Weda dans les Moluques, dans lesquelles les libertés civiles et les droits des travailleurs sont massivement restreints. La population, les pêcheurs et les agriculteurs, perdent leurs moyens de subsistance.
« La pollution de l’eau et de l’air, l’accaparement des terres et la perte des champs rendent la vie particulièrement difficile aux femmes dans cette société patriarcale. Celles-ci doivent désormais travailler quasiment 24 heures sur 24 pour nourrir leur famille », peut-on lire dans la lettre adressée à Tesla.
Les groupes affiliés à WALHI demandent :
- la fin de l’expansion des mines de nickel,
- l’arrêt de nouveaux investissements dans l’industrie du nickel,
- le respect des droits humains.
D’autres groupes de protection de l’environnement tels que JATAM et AEER ont également écrit des courriers à Tesla et à ses investisseurs. Ils sont alarmés par le projet de rejet des résidus miniers du nickel en haute mer dans le Triangle de Corail, une zone internationalement connue pour sa biodiversité marine.
JATAM et AEER critiquent également l'utilisation d’électricité produite à partir de charbon pour une énergie prétendument "verte" basée sur des batteries au nickel. Ils rappellent à Elon Musk son propre appel, lancé en septembre 2020, à ne pas détruire l’environnement.