Renforcer les Autochtones au lieu de sanctuariser la nature
9 déc. 2022
Le message est clair et il a été reçu par les Nations unies : transformer 30 % de la planète en aires protégées d’ici 2030 pour protéger la biodiversité est risqué et n’est pas la bonne solution. Notre pétition de 65 014 signatures contre le plan "30 en 30" a été remise jeudi 8 décembre lors de la Conférence mondiale sur la nature à Montréal.
« Protéger 30 % de la planète semble simple, mais c’est en fait très dangereux. Derrière cette idée se cache la théorie selon laquelle la nature ne peut être protégée qu’en tenant les humains à l’écart. Dans la pratique : si l’on expulse la population locale », explique Marianne Klute, présidente de Sauvons la forêt.
« 300 millions d’hommes, de femmes et d’enfants seraient menacés par "30 by 30", dont beaucoup appartiennent à des peuples autochtones. Les expulsions, faites au nom de la protection de la nature, toucheraient les meilleurs protecteurs de la forêt tropicale. Car la nature est en meilleur état là où les Autochtones ont des responsabilités. On peut se demander si les aires protégées sont efficaces : bien que leur nombre ait littéralement explosé, la biodiversité s’effondre. Au lieu de s’en remettre à des concepts douteux et dépassés comme des parcs nationaux étroitement surveillés, cette conférence doit renforcer les droits des Autochtones. »
Dans certaines zones, comme les parcs nationaux, s’applique une "protection forte", où humains et nature doivent être strictement séparés, au besoin par des rangers lourdement armés. Cela pourrait devenir la plus grande spoliation de terres de l’histoire, pour une faible contribution à la protection des espèces.
Au lieu de se fixer sur les zones protégées, les organisations demandent aux 196 Etats de la Convention sur la biodiversité de renforcer les droits des peuples autochtones. La nature est en meilleur état là où les Autochtones ont des responsabilités.
La secrétaire exécutive de la Convention sur la biodiversité, Elizabeth Maruma Mrema, s’est exprimée en faveur de certains arguments lors de la remise de la pétition. Elle aussi considère les Autochtones comme les véritables gardiens de la nature. Ils devraient être davantage impliqués, notamment lors de conférences comme la COP 15. « J’aurais aimé les voir plus nombreux ici », a-t-elle déclaré.
L’objectif de 30 % n’a de sens qu’avec de nombreuses autres mesures et ne doit pas être considéré de manière isolée. Lors de ses entretiens, Mme Elizabeth Maruma Mrema s’est engagée à signaler les risques portés par un engagement exclusif sur les aires protégées. « Je vais faire passer le message », dit-elle.
La pétition est co-signée par 15 organisations de protection de l’environnement et de défense des droits de l’homme d’Afrique et d’Asie. Elle est adressée aux Nations unies, au président français Emmanuel Macron et aux États membres de l’ONU.
« Le plan de classer 30 % de la planète en aires protégées d’ici 2030 sans tenir compte de droits fonciers coutumiers des Autochtones, pourrait casser l’équilibre de la conservation et de la nature : quand vous enlevez (expulsez) les Autochtones, vous cassez la chaine de l’équilibre de la nature, vous détruisez l’écologie », rajoute Pacifique Mukumba, de l’organisation autochtone CAMV (RDC).
« Le plan "30 by 30", s’il est approuvé, sera un désastre pour les dernières forêts tropicales de la planète », avertit Martins Egot, directeur exécutif de l’organisation Development Concern au Nigeria.
« Lorsque vous étudiez la nature et la biodiversité de manière intensive, vous voyez que les communautés autochtones conservent des connaissances et des pratiques traditionnelles qui sont très importantes pour l’utilisation durable de la biodiversité. C’est quelque chose que le concept de mise sous protection de 30 % de la planète semble rejeter pour des raisons politiques. » déclare Maxwell Atuhura, du Tasha Research Institute Africa (TASHA) en Ouganda.
« Il faut arrêter cette future spoliation des terres. Dans notre pays où le domaine rural n’est absolument pas définie un tel projet va littéralement enfoncer les populations autochtones et les communautés locales dans la précarité absolue », selon Ladislas Désiré Ndembet de l’organisation Synaparcam au Cameroun: « Voici le commentaire que je peut porter face à ce projet macabre qu’il faut absolument combattre. »
« Si cela est mis en œuvre, les Autochtones perdront le droit à la forêt dans laquelle ils ont vécu depuis des générations ! Même les économies "traditionnelles" telles que l’agriculture itinérante ou le nomadisme pastoral ne seront plus acceptées ici », critique Matek Geram, de l’organisation indigène SADIA de Malaisie.
« Les peuples autochtones vivent en harmonie avec la nature pendant des siècles. Ils sont les gardiens d’une grande partie des forêts et de la biodiversité restantes dans le monde. C’est pourquoi les populations indigènes doivent être placées au centre de tout plan de conservation, y compris les aires protégées», déclare Mardi Minangsari, directrice exécutive de l’organisation Kaoem Telapak en Indonésie.
Sauvons la forêt est à Montréal pendant toute la durée de la COP 15, qui se termine le 19 décembre, et suit les négociations relatives au nouvel accord mondial sur la nature.
Parmi les organisations à l’origine de la pétition, on trouve WALHI South Sulawesi, WALHI Papua, Aceh Wetland Foundation, Pusaka, Save Our Borneo, Kaoem Telapak (Indonésie), Devcon, WATER, RRDC (Nigeria), RIAO-RDC, CAMV (République démocratique du Congo), Synaparcam (Cameroun), TASHA (Ouganda), TEST (Tanzanie) et SADIA (Malaisie).