Droit à l’information : le parcours du combattant pour les autochtones en Papouasie
20 mars 2023
En Indonésie, le droit à la terre, à l’information et au libre consentement des autochtones est inscrit dans la constitution. Mais l’exemple de Boven Digoel, en Papouasie, montre à quel point il est difficile de le faire respecter.
Hendrikus Woro est épuisé. Il ne sait pas combien de fois il s’est déjà rendu à pied au bureau de l’environnement du district de Boven Digoel. Quatre kilomètres aller, quatre kilomètres retour, et toujours en vain. Hendrikus souhaite simplement s’informer sur ce qui se passe actuellement dans un territoire forestier sur lequel les autochtones ont un droit constitutionnel. Car l’État agit comme si la forêt lui appartenait totalement et la donne en concessions à des entreprises sans demander l’avis de la population.
Nous, propriétaires de terres autochtones, nous voyons refuser le droit à notre forêt et à l’information.
Le gouvernement a apparemment attribué 280 000 hectares de territoires forestiers aux entreprises d’huile de palme dans le district de Boven Digoel, sans demander son consentement à la population ni même l’en informer. Sauvons la forêt avait évoqué cette affaire dès 2020 dans l’article "Début des déboisements pour la plus grande plantation d’huile de palme du monde". On ne sait toujours pas à ce jour quelles sociétés sont impliquées et où se trouvent exactement les limites de cette immense zone.
Une chose est sûre : ce territoire est habité depuis des générations par les Awyus, dont Hendrikus Woro, et d’autres peuples papous. Depuis que des rumeurs ont circulé sur la conversion de la forêt en plantation de palmiers à huile, Hendrikus tente de se renseigner auprès des autorités. Les Awyus ont toujours clairement manifesté leur opposition à la destruction de la forêt, ce qui est leur droit.
Selon la constitution indonésienne, les autochtones ont le droit à l’information. Or, ni les sites internet officiels ni les journaux ne donnent d’informations sur ce méga-projet qui acterait la fin de la plus grande forêt tropicale de la région Asie-Pacifique. Les Awyus ont sollicité différentes administrations à plusieurs reprises, mais se sont fait éconduire. Sur toutes leurs lettres envoyées, une seule a reçu une réponse. Il s’agissait du bureau des investissements, qui se déclarait incompétent. Les efforts d’Hendrikus Woro prouvent que les autochtones se voient toujours refuser le droit à l’information avec des arguments fallacieux.
Le district de Boven Digoel se trouve au sud-est de la Papouasie, la partie indonésienne de l’île de Nouvelle-Guinée. Une forêt tropicale dense, avec d’imposants merbaux et de nombreuses espèces endémiques, couvre presque toute la région, à l’exception de la concession d’exploitation forestière du tristement célèbre groupe Korindo.
Un port a été construit sur le cours supérieur du fleuve Digul, long de 500 kilomètres, en 2021. Des bateaux ont déchargé de l’équipement lourd et les coupes à blanc ont immédiatement commencé. Femmes et hommes papous ont décidé d’organiser un rituel pour sauver leur forêt. Les arbres ont été marqués en fonction de leur signification :
Quiconque coupe cet arbre sera sévèrement puni selon la loi traditionnelle.
Alors que tout espoir semblait perdu, les Awyus sont entrés en contact avec notre organisation partenaire Pusaka et une association d’aide juridique. Résultat : les autorités ont rendu l’accès à l’information encore plus difficile. Elles exigent des listes complètes des autochtones, de toutes les personnes revendiquant des terres, de tous les foyers, de toutes les organisations, la présentation de toutes les cartes d’identité ainsi que d’autres documents. C’est une exigence quasiment impossible à satisfaire dans cette région reculée et isolée, qui n’a presque pas d’infrastructures. Pusaka a cependant obtenu une copie de l’étude d’impact environnemental. Le fait que cette dernière existe signifie que des concession ont effectivement été attribuées à des entreprises d’huile de palme dans cette grande zone de forêt tropicale, sans la consultation ni le consentement de la population.
Les autorités entravent et violent le droit à l’information.
Le droit à l’information est garanti par la Constitution indonésienne. De plus, les autochtones et les communautés concernées ont le droit au consentement libre, préalable, et éclairé. Le non-respect de ces droits est une violation de la loi, ce qui signifie que la plantation d’huile de palme prévue sera illégale dès le départ.
Le consentement libre, préalable, et éclairé est un droit protégé par les normes internationales des droits humains qui permet aux autochtones de déterminer elles-mêmes et eux-mêmes de leur développement économique, culturel et social. Il s’applique en particulier lorsque des projets d’infrastructure ou d’exploitation des ressources naturelles ont un impact sur les gens. La base du FPIC est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la Convention sur la diversité biologique (CBD) et la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail.
Le peuple awyu a le droit de décider s’il veut sacrifier, ou non, sa forêt pour l’huile de palme. Hendrikus Woro a déposé une plainte auprès du tribunal administratif. Sauvons la forêt soutient Pusaka et les autochtones de Boven Digoel.
Informations supplémentaires
Pour en savoir plus sur le peuple Awyu et le droit à l’information des autochtones, lire le rapport (en anglais) de notre partenaire Pusaka : Right to information is a citizens constitutional right. Disclose the licensing information to save the indigenous peoples and forests in Papua
« Libre » implique l’absence de coercition, d’intimidation ou de manipulation.
« Préalable » implique que le consentement soit obtenu suffisamment longtemps avant toute autorisation ou début d’activité et que les délais nécessaires aux processus autochtones de consultation et de recherche d’un consensus soient respectés.
« Éclairé » implique que les informations fournies couvrent une série d’aspects, notamment la nature, l’ampleur, le rythme d’exécution, la réversibilité et la portée de tout projet ou activité proposé ; l’objectif du projet ainsi que sa durée ; la localisation des zones concernées ; une évaluation préliminaire des potentielles incidences économiques, sociales, culturelles et environnementales, notamment des risques potentiels ; le personnel susceptible d’intervenir dans l’exécution du projet ; les procédures que le projet peut impliquer.
Source : Nations unies - Consultation et consentement préalable, libre et éclairé