Victoire juridique pour l’Amazonie péruvienne
28 août 2019
Un signal clair en faveur de la lutte contre la déforestation en Amazonie : au Pérou, un tribunal a condamné une entreprise à payer quatre millions d’euros de dommages et intérêts à l’État et infligé une peine de huit ans de prison à son directeur. Ce succès est aussi dû au travail de notre organisation partenaire Kené.
« Un jugement historique a été rendu dans le cadre de la lutte contre la déforestation de la forêt tropicale et l’abattage illégal de bois au Pérou, notamment en raison du dédommagement de 14,7 millions de sols péruvien » fixé par le tribunal, explique le procureur environnemental, Alberto Yusen Caraza. « L’entreprise Tamshi SAC a déboisé sans autorisation 1950 hectares de forêt vierge près de la commune de Tamshiyacu ».
Converti en euros, le dédommagement équivaut à près de 4 millions. Outre le paiement de cette somme, un tribunal de la ville d’Iquitos située près du fleuve Amazone a condamné début août l’exploitant d’une immense plantation de cacao dans la forêt vierge. Trois anciens employés de l’entreprise ont été condamnés à des peines de prison pour commerce de bois illicite et entrave à l’enquête.
Lucila Pautrat, directrice de l’organisation environnementale Kené basée à Lima, est satisfaite de cette décision judiciaire. Sans elle, ce jugement n’aurait probablement jamais été rendu. Cette environnementaliste résolue a accompagné et soutenu pendant des années les enquêtes menées par les autorités péruviennes, avec l’aide de Sauvons la forêt. L’association basée à Hambourg finance depuis six ans le travail de Kené.
Un signal important lancé aux autres
« Ce jugement est également un signal important lancé aux autres planteurs de cacao et de palmiers à huile. Ils ont suivi cette affaire avec attention et savent désormais que les déboisements ne restent pas impunis au Pérou », explique Lucila Pautrat.
Elle signale depuis des années les cas de déforestation de forêts tropicales aux ministères compétents dans la capitale et a fait pression. En effet, le manque de soutien politique et la corruption largement répandue entravent le travail des autorités chargées des enquêtes et de la justice. Les fonctionnaires sont souvent mutés, les dossiers disparaissent ou les cas doivent être rouverts, après que les entreprises aient changé de nom et de propriétaire.
Par ailleurs, les autorités péruviennes manquent de personnel et de matériel. Seuls cinq procureurs spécialisés dans les affaires environnementales sont responsables de la grande zone forestière de Loreto, explique Lucila Pautrat. Avec une superficie de 370.000 km², la région est aussi grande que l’Allemagne.
D’autres procédures sont en cours
Pour Lucila Pautrat, ce jugement n’est qu’un début. 15 autres enquêtes et procédures judiciaires sont en cours dans le Loreto, dans la région voisine d’Ucayali et dans la capitale de Lima contre différents groupes d’entreprises ainsi que leurs commanditaires au Pérou et à l’étranger. Rien qu’au Pérou, ils ont créé 26 entreprises différentes, qui ont déboisé quelque 15.000 hectares de forêt tropicale pour y établir des plantations de cacao et de palmiers à huile. Ils ont apparemment géré les activités depuis la Malaisie et Singapour via une holding située dans les Iles Caïmans.
Des entreprises européennes sont également impliquées. Le groupe néerlandais TMF en fait partie. Ce groupe spécialisé dans les services aux entreprises (gestion, administration, fiscalité) a employé le directeur de l’entreprise de cacao pendant des années. Ce dernier a été condamné à huit ans de prison par le tribunal d’Iquitos.
Kené assure la sécurité des personnes vivant dans les zones concernées par les plantations de cacao et de palmiers à huile – la plupart étant des indigènes et des petits agriculteurs. Les personnes qui s’engagent dans la défense de l’environnement et des droits fonciers au Pérou courent de grands risques. Les menaces et les intimidations n’ont rien d’inhabituel et plusieurs personnes ont déjà été assassinées.
Les autorités péruviennes constatent également ce climat de violence. Après une campagne de diffamation lancée contre le procureur Caraza, ainsi que des manifestations organisées devant le Palais de justice, le ministre de l’Intérieur a dû renforcer les mesures de sécurité. Des unités spéciales lourdement armées de la Police ont dû sécuriser le Palais de justice lorsque les jugements ont été prononcés. Des employés de l’entreprise de cacao contestent avec véhémence le jugement. Ils affirment sur des bannières que le procureur a dû acheter des témoins et exigent une procédure en appel.
Ils font passer les plantations pour des parcelles reboisées
L’entreprise de cacao tente de faire oublier son passé : « Tamshi SAC a changé de propriétaires en 2018, après que l’entreprise ait pratiquement été mise en faillite par la direction précédente », écrit l’entreprise sur son site Internet. Les cacaoyers alignés sur l’énorme surface défrichée dans la forêt tropicale font partie d’un plan de reboisement et constituent un écosystème, ose affirmer l’entreprise.
On peut se demander si cette combine va fonctionner. Trouver des acheteurs de cacao issu de la déforestation pourrait s’avérer difficile. Kené exige que Tamshi SAC et ses bailleurs de fonds en Amérique du Nord, en Europe et en Asie quittent le pays de manière pacifique, sans provoquer de morts ni engendrer de conflits violents.
« Nous ne voulons pas d’entreprises qui détruisent la forêt, répandent la corruption et commettent des délits au Pérou », explique Lucila Pautrat. Son organisation exige le respect de l’État de droit et que des sanctions soient prononcées contre tous ceux qui ne respectent pas les lois.