L’Indonésie sacrifie la "forêt de l’espoir" pour du charbon
26 août 2020
Mais que fait l’Indonésie ? Le pays d’Asie du Sud-Est a approuvé la construction d’une route traversant Hutan Harapan, l’un des projets phares de son programme pour le climat. Sur place, les populations autochtones dénoncent la mise en péril de leurs moyens de subsistance et la fragmentation de l’habitat des tigres et des éléphants.
« Hutan Harapan (littéralement la "forêt de l’espoir" en indonésien) est l’une des dernières forêts humides de plaine de Sumatra. Une route apporterait pourtant sa destruction définitive. Nous perdons espoir. » Feri Irawan de notre organisation partenaire Perkumpulan Hijau ("Association verte") fulmine : l’Indonésie a approuvé la construction d’une route traversant la forêt de protection Hutan Harapan à Sumatra, qui est un habitat pour les tigres et les éléphants.
Cette décision est d’autant plus étonnante que Hutan Harapan est un projet de conservation visant à réduire la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre, une composante importante du programme indonésien pour le climat*.
La ministre de l’environnement Siti Nurbaya Bakar a essayé de rassurer les sceptiques en mettant en avant le cahier des charges imposé à l’entreprise chargée de la réalisation de l’infrastructure et le choix du tracé de la route le moins nuisible parmi les trois alternatives possibles. Ce tracé de cette route traverse néanmoins la forêt et aura pour conséquence la fragmentation de l’habitat des animaux et l’incertitude autour du projet Hutan Harapan.
Le projet est situé dans le territoire ancestral des autochtones Suku Anak Dalam (les "enfants de l’intérieur"), que l'Association verte soutient depuis des décennies. Il y a deux ans, Feri Irawan était parvenu à faire respecter les droits fonciers de certains groupes à Sepintun, au nord de Hutan Harapan. Nous avions rapporté comment son action avait sauvé la forêt des éléphants à Sepintun.
L’Association verte de Feri Irawan avait tôt eu des doutes sur le projet Hutan Harapan. Il avait fallu de longues discussions pour que les Batin Sembilan, un sous-groupe des Suku Anak Dalam, ainsi que les éléphants et les tigres soient tolérés dans la forêt. Aujourd’hui, Hutan Harapan joue un rôle important pour la survie des petits groupes autochtones.
Selon les activistes indonésiens, la route profitera en premier lieu à la société qui exploitera et exportera les gisements de charbon de Hutan Harapan, c’est-à-dire à l’industrie et à l’économie. Ceux qui en paieront le prix seront la forêt et ses habitants : le peuple Suku Anak Dalam, les éléphants ainsi que de nombreux autres animaux et végétaux.
« La nature et les habitants de Sumatra sont les laissés pour compte de la politique économique indonésienne » déplore Feri Irawan au téléphone. « Si l’espoir est perdu pour Hutan Harapan, les gens s’appauvriront encore plus. Notre province de Jambi est envahie par les monocultures. Les agriculteurs sont devenus dépendants de l’huile de palme et ne cultivent plus de légumes. Avec la pandémie actuelle de coronavirus, ils n’ont plus de revenus. Les forêts et les champs qui les nourrissaient ont disparu. »
Et de conclure : « notre président doit enfin se décider entre une idéologie économique ne tenant compte ni de l’homme ni de la nature et la protection des peuples autochtones, de la forêt tropicale et du climat. L’Indonésie a signé la Convention de Paris sur le climat et s’est engagée à réduire les émissions causées par la déforestation. L’Indonésie a promis une plus grande protection aux populations indigènes. Au lieu de cela, notre gouvernement rompt toutes ses promesses. »
* Le projet Hutan Harapan est financé par l’Allemagne dans le cadre de sa loi climat et sa mise en œuvre sur 100 000 hectares (pendant la période 2019-2026) est pilotée par plusieurs organisations de protection de l’environnement, dont la NABU (Naturschutzbund Deutschland e.V.). L’argent provient de l’Initiative internationale pour le climat (IKI) du gouvernement allemand et est versé par la banque publique allemande Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW). La ministre allemande de l’environnement, Svenja Schulze, a ainsi fait part de ses préoccupations. Et pour cause : l’Allemagne a tout intérêt à la réussite du projet.